L'Encre des Mots
Histoires de pain
Ce récit est le témoignage simple et touchant de monsieur DOLO, boulanger à Rennes pendant de nombreuses années. Actuellement en maison de retraite et accompagné par d'autres résidents, il a bien voulu nous faire part de ses souvenirs.
Un boulanger à Rennes
Monsieur Victor DOLO, né à Saint-Anne-sur-Vilaine, est un boulanger à la retraite. Passionné par ce métier depuis sa plus tendre enfance, il commence son apprentissage à 16 ans, dans son village. À 19 ans, il arrive à Rennes, son oncle lui ayant trouvé une place chez Monsieur LEGENDRE, qui tient une boulangerie rue Saint-Hélier. Venu pour un essai, il est engagé au bout de 15 jours. Il y restera 2 ans.
Les journées de Monsieur DOLO commencent à 23h, le levain étant préparé 5 à 6 heures avant. Il pétrit sa pâte, faite comme chacun sait d’eau, de farine, de levure et de sel, étire la pâte, moule ses différents pains, les cuit… Il est préposé au patouillage, car doué et fort. Cela consiste à ramener la cendre dans l’étouffoir avec un rouable afin de préserver la fournée. Au petit matin, il va porter leur pain aux habitants des quartiers ou villages avoisinants. Pour cela il s’accompagne de son vélo, auquel est rattachée une remorque contenant le pain. Sur son dos, une sacoche qui contient le fruit de ses ventes.
Après la tournée du pain, il faut s’occuper du bois nécessaire au bon fonctionnement des fours. C’est une tâche pour les employés. Certains après-midi, Monsieur DOLO va donc couper des fagots de châtaigniers.
Après le bombardement de Rennes du 9 Juin 1944, le boulanger doit quitter Monsieur Legendre, la boutique ayant été soufflée. Il retrouve une place rue de Vern, dans la boulangerie Taillandier auprès duquel il travaillera 1an ½. Après un passage à Coëtquidan, chez monsieur Cabel, Monsieur DOLO intègre la coopérative, située rue de Nantes. Il y passera 7 ans. Après la dissolution de cette coopérative, Monsieur DOLO change de cap. Sur appui d’un ami, il entre dans une droguerie tenue par Monsieur LANGLOIS. Vendeur, il s’y plaira tellement qu’il fera les 25 ans de carrière qu’il lui reste dans ce magasin.
Malgré ce nouveau boulot, Monsieur DOLO reste un boulanger. Et les commerçants du coin le savent bien. Aimé et apprécié pour son savoir faire, sa gentillesse, les boulangers lui demandent de venir travailler pour eux les week-ends. Il accepte toujours. Durant 25 ans, en plus de son métier de vendeur, Monsieur DOLO continue à fabriquer du pain, fidèle à sa passion. Même durant les premières années de sa retraite !
Les souvenirs de Monsieur DOLO sont intacts. Il rappelle que les rennais n’ont jamais manqué de pain pendant la guerre, que les gens étaient friands des petits pains bénis distribués après la messe. Il se souvient des enfants qui lui couraient après quand il revenait de sa tournée dans l’espoir d’avoir le pain restant. Souvenir le plus étonnant qu’il ait : la viande que les habitants du quartier Saint-Hélier venait lui donner pour qu’il la cuise dans ses fours à pain. C’était bien meilleur cuisiné au bois de châtaigner !
Les autres résidents ont eux aussi leur souvenir propre au pain. Depuis toujours et pour eux tous, petit déjeuner rime avec tartines de pain.
Madame LENANCKER, 90 ans, se rappelle que dans les côtes d’Armor, les villageois ne pouvaient pas payer leur pain tous les jours. L’astuce pour le boulanger était donc d’avoir une règle en bois au nom de chaque client et de l’entailler à chaque achat de pain effectué. Le client revenait par la suite régler son dû.
Ceux des campagnes, comme Mesdames DREUX, LENANCKER, JACQUES et TROCHET se souviennent du boulanger venant les livrer à cheval et à charrette. On se rappelle surtout les pains de 12 livres qu’on récupérait le samedi et qui devait faire la semaine. Il était plus dur de se procurer du pain dans les campagnes pendant la guerre. Seuls ceux ayant les ingrédients et un four dans les champs en ont moins manqué.
Ceux des villes, comme Monsieur TEXIER et Madame DELALANDE, allaient en boulangerie acheter leur pain de 4 livres.
Les superstitions liées au pain étaient monnaie courante à l’époque. On faisait une croix sous le pain avant de le couper ou on ne le mettait pas l’envers, car cela risquait d’attirer le diable.
On se souvient des casse-croûtes préparés lors des battages : de grosses tranches de pain avec du lard, et pour faire passer le tout, une bonne gorgée de cidre. Le petit plaisir venait le week-end… avec la brioche.
Tous ont ce respect face au pain, au métier de boulanger. Elément important des repas d’autrefois, le pain a marqué chacun d’eux de manière différente.
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Avec l'aimable autorisation de monsieur Dolo ainsi que des personnes citées.
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